Geoffrey Bawa
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Article publié dans le bulletin de Ar'site |
Né en 1919 et décédé en 2003 à Colombo au Sri Lanka, cet architecte emblème de la nation n’a cependant exercé qu’à partir de ses 38 ans ! Il fut d’abord avocat et vécut jusqu’en 1948 hors de Ceylan (année de l’indépendance de l’ile) où il avait installé un an auparavant sa propriété à Lunuganga dans une ancienne plantation de caoutchouc en friche. Recherchant luxe et adaptation au pays, il se prend de passion pour la création d’un parc de dix hectares inspiré de jardins italiens avec un pavillon principal, quatre bungalows de verre et de béton parfaitement intégrés au paysage au milieu de la jungle. C’est ce qui le pousse à se former à l’architecture pour laquelle il retourne à Londres, puis revient en 1957 et ouvre un cabinet.
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Il s’associe en 1959 à Ulrik Plesner, jeune architecte danois imprégné de conception scandinave méticuleuse et très curieux des traditions constructives du Sri Lanka. Les deux ont travaillé ensemble de façon symbiotique jusqu’en 1967. Bawa est alors rejoint par l’ingénieur K. Poologasundram, qui est resté son associé pendant les vingt années à venir.
Modernisme tropical
Bawa est particulièrement reconnu pour avoir su adapter le modernisme à la culture tropicale et mêler le langage abstrait occidental à l’architecture vernaculaire. Considéré comme un des architectes asiatiques les plus importants, il a fait l’objet d’une exposition à Londres dès les années 1980 et a été récompensé à la fin de sa vie par le Prix Aga Khan d’architecture et par une grande rétrospective au musée de l’architecture de Francfort.
Ouverte au public depuis sa mort, en 2003, la propriété de Lunuganga – près de Bentota, au sud-ouest de l’ile et gérée par le Geoffrey Bawa Trust – incarne ce modernisme tropical. Le jardin compte un restaurant dans la maison principale et quatre bungalows transformés en chambres d’hôtel.
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Colombo
La maison de Bawa (33rd Lane, se visite) commencée en 1958 joue avec les patios, sur un terrain de 15m x 36m qui évoluera jusqu’en 1998 : assemblage introspectif des cours, vérandas et bungalows. C’est une architecture bricolée, sans cesse remodelée, collage d’architecture européenne et de traditions srilankaises pour une densification horizontale.
Son atelier (2 Alfred House Road) est aujourd’hui un restaurant très branché, The Gallery Café.
Réalisations
Bawa dessinera environ 70 maisons privées (50 furent construites), 35 hôtels (20 furent construits), aussi bien que des écoles, des édifices religieux, des complexes industriels ou des bâtiments publics, parmi lesquels le Parlement. L’architecture de ses maisons exploite très souvent de généreux mouvements de toitures protectrices comme la maison du Dr ASH de Silva à Galle ou en 1963, un pavillon pour une plantation de noix de coco à Polontalawa (Nikarawetiya) construit au milieu d’émergences d’énormes rochers, et conçu comme un ensemble d’abris aux toits passant d’un rocher à l’autre.
Il s’intéressera même aux coques en 1968, comme le montre ce projet pour le Beach Hotel à Yala.
En 1968, le Bentota Beach Hotel était l’un des premiers hôtels de Ceylan (qui devient le Sri Lanka en 1972) avec des références à un monde perdu des anciens palais, manoirs médiévaux et villas coloniales, mais aussi un équilibre intéressant entre volumes aériens et socle minéral.
Il quittera son agence en 1989 à 70 ans, mais a encore des occasions de construire, avec un petit groupe de jeunes architectes. Les projets explorent des pistes en toute liberté semble-t-il, concrétisées dans quelques réalisations des années 1990 comme en 1995 le Lighthouse Hotel (Hôtel du Phare) à Galle sur un promontoire rocheux. Son escalier intérieur est agrémenté de sculptures garde-corps de son ami le sculpteur Laki Senanayake. En 1997, il conçoit l’étonnante maison de Pradeep Jayawardene (petit-fils de l’ancien président du Sri Lanka) à Mirissa sur les falaises rouges qui bordent la baie de Weligama.
Kandalama Hotel
Une mention particulière va à cet hôtel de 1995 à Dambulla (au cœur de l’ile, à 160 km de Colombo), tant pour son site que son architecture. À la fin de 1991, Bawa fut chargé de concevoir un hôtel proche du rocher de Sigiriya. Fidèle à son habitude, il a rejeté le site proposé et persuadé ses clients de déplacer l’hôtel d’une quinzaine de kilomètres, au sud d’un éperon rocheux au-dessus de l’ancien réservoir d’irrigation de Kandalama. Dans sa conception finale, l’hôtel de 152 chambres dissimulé par le végétal est comme émergeant de la jungle environnante, et la piscine à débordement se fond visuellement dans les eaux du réservoir situé en contrebas. Les chambres disposent de salles d’eau en façade pour mieux se baigner dans la jungle, en compagnie des singes ! Tout se prête à s’imprégner du site : la proximité de l’éperon rocheux contre lequel s’adosse l’hôtel est exploitée pour créer à la fois des sensations minérales et aériennes.
Dès le porche d’entrée, la roche est présente puis les deux ailes de chambres sont reliées par un couloir qui longe le rocher.
L’irrégularité de l’éperon fait cependant qu’après un passage en grotte, le parcours peut emprunter une légère passerelle entre jungle et paroi rocheuse. Néanmoins aucune sensation d’étouffement ou de vertige, la sérénité étant apportée par les trois piscines prolongées visuellement par le réservoir. ※
Article publié dans le bulletin de Ar'site : Architecture – paysage n°49 • décembre 2015. www.arsite.info