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Sister productions et Survivance
présentent DEMONS IN PARADISE
Un film de Jude Ratnam
« Que demandent les morts ? Qu’on pense à eux ? Qu’on les libère en jugeant les coupables ? Ou veulent-ils qu’on comprenne ce qui a eu lieu ? » — Rithy Panh, L’Élimination Sortie en salle : 21 mars 2018 (France)
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SYNOPSIS
Juillet 1983. Sri Lanka est déchiré par des émeutes meurtrières visant la minorité tamoule. Elles marquent le début d’une guerre civile qui durera près de 30 ans.
Le cinéaste Jude Ratnam n'a que cinq ans lorsqu’il fuit Colombo pour se rendre au nord du pays majoritairement tamoul. Mais la quiétude de ce refuge est rapidement troublée par des affrontements meurtriers au sein de la rébellion tamoule. Aujourd’hui, le retour de son oncle, l’ancien guérillero exilé au Canada, est l’occasion de rouvrir de vieilles blessures et de réfléchir aux erreurs commises. Pour la première fois, un cinéaste srilankais tamoul offre un point de vue intérieur sur ce que furent trois décennies de guerre civile. |
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Quelle est la genèse du film ?
L'idée du film est née lors d'un workshop sur le cinéma documentaire organisé par l'Institut français à l'Ambassade de France à Colombo en 2008. C'est là que j'ai rencontré Isabelle Marina (ma coauteure sur le film) et que j'ai découvert le film de Rithy Panh, S21, La Machine de mort khmère rouge. Cela faisait longtemps que je voulais raconter l'histoire de mon pays, cette haine entre deux communautés qui trouve ses racines dans le colonialisme. Je voulais raconter l'histoire d'une guerre doublement fratricide. Isabelle Marina m'a aidé à présenter mon projet d'abord à la Femis [École nationale supérieure des métiers de l'image et du son] où j'ai rencontré Stan Neumann, Raoul Peck et Thierry Garrel. J'ai ainsi pu y suivre l'atelier Archidoc qui a accepté à titre exceptionnel d'accompagner un projet non-européen.
Comment s'est passé le processus d'écriture du film ?
J'ai d'abord travaillé étroitement avec Isabelle Marina en tant que coauteure. Puis, en 2011, j'ai commencé à tourner mes premières images, notamment en vue de réaliser un teaser. J'ai voulu d'abord filmer le train, avec, en tête, la peur très forte liée à mon enfance. C'est à ce moment que j'ai découvert qui j'étais en tant que réalisateur. À partir de là, ma relation au film est devenue de plus en plus intime. Le film s'est dessiné au fur et à mesure dans ces allers-retours entre sessions de tournage et nouvelles séances d'écriture.
L'image du train comme leitmotiv du film était présente dès le début du projet ?
Oui. J'ai toujours été fasciné par les trains depuis que j'ai dû fuir avec ma famille alors que j'étais enfant. Je trouve que le train est une métaphore cinématographique très forte pour parler du conflit srilankais. J'ai ainsi demandé à un archiviste de rechercher des images de la construction des premières voies ferrées. Je sentais que la structure du film allait plus ou moins suivre ces trois mouvements : construction, déconstruction, reconstruction.
Les images d'archives en ouverture du film, évoquant la construction de cette voie ferrée, sont particulièrement frappantes. Où les avez-vous trouvées ?
On a eu recours à plusieurs fonds d'archives : BFI National Archives, Getty Images, Huntley Film Archives... À Sri Lanka, avec l'apparition des premières voies ferrées, le train était considéré comme un démon. Un démon d'acier. Ces images d'archives en noir et blanc donnent l'impression d'une apparition maléfique, d'une vision cauchemardesque, manifeste jusque dans les yeux des enfants qui apparaissent dans ces archives. Or tout le film est imprégné de cette émotion. C'est presque métaphysique parce que tout cela se déroule dans un pays sensé être paradisiaque d'un point de vue touristique. D'où le titre, Demons in Paradise.
Le train, c'est la machine écrasante du colonisateur qui a su s'imposer en attisant les rivalités entre communautés.
La haine entre les communautés cingalaises et tamoules plonge ses racines dans le colonialisme. Au Rwanda, les colonisateurs ont assis leur pouvoir sur les concepts d'ethnicité. À Sri Lanka, tout repose sur la question de la langue. Les Tamouls [minoritaires dans le pays, ndlr] ont été favorisés et placés à la tête du gouvernement par les Anglais. Après l'indépendance du pays [en 1948], le gouvernement nationaliste cingalais imposa le cingalais comme seule langue officielle dès 1956 dans un esprit de réparation. Mais, cette discrimination envers les Tamouls a alors donné lieu à des mouvements de protestation d'abord pacifiques, puis violents.
Quels ont été les éléments déclencheurs de la guerre civile ?
Une des sources du conflit était économique. En 1978, Sri Lanka s'était ouvert à une économie de marché qui a eu des répercussions terribles sur la population. Chacun cherchait tant bien que mal à survivre et cela aiguisait les tensions. Les manifestations étaient violemment réprimées. On atteint un paroxysme en 1983 : des listes d'adresses de Tamouls circulaient, ils étaient pris pour cible, assassinés. Le gouvernement est resté silencieux pendant des jours, laissant commettre les pires exactions. Cela ressemble beaucoup à ce qui s'est passé entre les Tutsis et les Hutus. Beaucoup de familles ont fui vers le nord et les jeunes Tamouls prenaient les armes, pour rejoindre les Tigres ou d'autres organisations de résistance.
Aujourd'hui, quelle est la situation du pays ?
La paix est très fragile. Les Tigres ont été éradiqués en 2009. Mais ils n'étaient pas les seuls représentants des Tamouls. Ils parlaient de «terre promise» et cette idéologie n'a pas totalement disparu avec eux. Aujourd'hui, le pays a besoin de faire ce travail d'introspection, de réfléchir à ce qui s'est passé. Mais le gouvernement n'est pas encore prêt à faire le moindre geste envers le nord [à majorité tamoule] par peur de déclencher de nouvelles revendications de liberté.
Malgré ce climat de peur, comment avez-vous pu obtenir de vos témoins qu'ils acceptent de se confier ?
Ce film contient une part de moi et une part de ceux que j'ai rencontrés. C'est vrai, il m'a fallu lentement gagner leur confiance. Mais en fait, ils avaient vraiment besoin de parler. Quant à mon oncle, sa présence dans le film s'est imposée à moi durant ce long processus de création du film. Depuis son exil, il était déjà retourné deux ou trois fois à Sri Lanka, mais c'était la première fois qu'il revenait dans les lieux particuliers de sa jeunesse. Son émotion était forte, mais je ne voulais pas pour autant faire de lui le seul personnage. En fait, le fil du documentaire passe de main en main : d'abord mon fils et moi, puis mon oncle, puis les militants. La question du film est : quel est le vrai héros de cette histoire ?
Pour raconter l'histoire de cette guerre fratricide, vous auriez pu opter pour un style plus informatif et journalistique, plus anglo-saxon, mais au lieu de cela...
... j'ai fait un film très français ! J'aime le cinéma européen. En tant que spectateur, quand je regarde un film, je n'aime pas avoir la sensation que le réalisateur sait déjà tout et qu'il a déjà un temps d'avance sur moi. J'aime au contraire que le film m'emmène quelque part et que je vais faire le voyage avec le réalisateur.
Quels sont vos prochains projets ?
J'ai été approché par une ONG allemande, GIZ, qui est très active dans des projets de coopération autour des processus de paix et de réconciliation. Ils proposent des résidences d'artistes et m'ont invité à intervenir pour que j'aide d'autres réalisateurs à travailler sur ces problématiques. J'ai aussi un projet plus personnel que je suis en train d'écrire, un film qui se situerait entre fiction et documentaire. À Sri Lanka, après la guerre, certaines personnes se sont enrichies et ont construit des immeubles de luxe. Un jour, j'étais avec des amis et nous y avons fait la rencontre d'une prostituée. Je voudrais recréer cette scène avec cette même prostituée et trois hommes venant de milieux différents. Cette rencontre les oblige à se poser des questions fondamentales autour du travail et du luxe, du plaisir et de la luxure. C'est très abstrait pour l'instant mais, après avoir travaillé sur la peur pour Demons in Paradise, j'aimerais maintenant travailler sur la notion de culpabilité.
Entretien réalisé par Laetitia Mikles pour l'agence régionale Écla.
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Réalisateur : Jude Ratnam
Auteurs : Jude Ratnam, Isabelle Marina Montage :Jeanne Oberson Productrice : Julie Paratian, assistée d’Astrig Chandeze-Avakian Image : Chinthaka Somakeerthi, Mahinda Abeysinghe Montage Son : Wickrama Senevirathne, H.M Indika Sisira Kumara, Benoît Gargonne Mixage : Jean-Guy Veran, Mactari Musique : Rajkumar Dharshan Étalonnage : Steven Le Guellec, Stuff Movie Graphisme : Simon Gréau Partenaires : CNC, PROCIREP-ANGOA, IDFA Bertha Fund, Région Île-de-France, Région Nouvelle-Aquitaine, Asian Cinema Fund, Cinéma du Réel – Paris-DOC-SCREENINGS Production : Sister productions (France), Kriti a Work of Art (Sri Lanka) Année de production : 2017 Distribution : Survivance |
Suivre les évènements autour du film sur les pages Facebook de Demons in Paradise et Survivance.net.
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