L'art contemporain de Ceylan
Petit Palais, Paris, 13 novembre – 21 décembre 1953
Préface de Pierre de Francia
L'art européen du XXe siècle a subi des vagues incessantes d'influences artistiques, exotiques et anthropologiques. L'influence a été quelquefois indirecte, par voie de reproductions et de musées. Quelquefois, au contraire, le sculpteur et le peintre européen ont cherché avec fanatisme un renouvellement de leur art dans des sociétés complètement coupées de la vie contemporaine. L'Afrique, la Polynésie, l'Amérique du Sud et l'Amérique centrale ont toutes contribué à la formation de la peinture et de la sculpture occidentale. Ces influences, quelquefois formatrices et inspiratrices, ont souvent été extrêmement superficielles. L'Europe s'est servie de la forme, tandis que le contenu de l'œuvre fut totalement négligé ou incompris. Souvent un art de qualité locale fut jugé la forme la plus pure d'une tradition nationale, ou la synthèse d'une telle tradition fut employée comme une formalisation, rehaussant une expression artistique spécifiquement européenne. Il n'y a pas eu échange mais pillage. Il en résulte que ces influences furent, en général, éphémères. En même temps il y a eu une corruption et un appauvrissement dans les arts locaux et traditionnels. Un fait curieux est que deux des plus grands courants artistiques dans le monde, l'art hindou et l'art bouddhiste, ont été presque entièrement négligés. Tous deux restent, pour ainsi dire, inviolables.
La Chine, les Indes et les pays asiatiques sont au début d'une phase nouvelle de leur histoire. Notre époque verra le commencement d'un essor artistique immense en Asie. Cette exposition marque les premiers pas de jeunes artistes d'un pays qui fera, sans aucun doute, une très grande contribution à l'art de l'Extrême-Orient.
L'île de Ceylan contient peut-être les plus beaux paysages du monde. Son art est vieux de deux mille ans. Formé de traditions bouddhiste et hindoue, l'art cinghalais reflète, en général, un tempérament plus paisible, plus rationnel, sceptique, et moins violent que celui des Indes : tempérament qui a employé la sculpture et la fresque comme base d'expression et qui n'a jamais négligé les relations étroites entre les arts plastiques et l'architecture. Les cités antiques d'Anuradhapura et de Polonnaruwa sont les témoignages éloquents de la grandeur de la sculpture cinghalaise du premier siècle avant notre ère. La tradition picturale est également très ancienne. Les fresques de la forteresse de Sigiriya sont contemporaines de celles d'Ajanta aux Indes.
La tradition des fresquistes de l'île dure jusqu'au XVIe siècle ; elle est renouvelée par celle de l'époque kandyenne, qui subsiste jusqu'au début du XIXe. Trois conquêtes et trois périodes de domination européenne — portugaise, hollandaise et anglaise — n'ont pas réussi à étrangler l'expression nationale. La campagne, la vie des villages, l'architecture rurale, la danse et les coutumes sont restées au dehors des influences étrangères, surtout en Kandy ces éléments forment les bases et une source inépuisable pour les artistes contemporains. Par contre, à partir de 1850, la peinture et la sculpture furent largement étouffées. La seule peinture se réduit à un académisme, imitation pure et simple de l'art officiel de l'école anglaise.
Le Groupe 43 (fondé en 1943) est l'issu des mouvements nationalistes dès 1920. Le groupement des peintres se forme en grande partie autour de la personnalité de Lionel Wendt, photographe, pianiste et critique, mort en 1944.
Des tendances extrêmement diverses se font voir dès le début dans cette jeune école et se reflètent parmi les exposants. Keyt (né en 1901), qui fut un des premiers peintres à reprendre la tradition picturale cinghalaise, n'a jamais fait d'études en Europe et son œuvre se base en premier lieu sur l'étude des fresques dans l'île même et aux Indes. Par contre. Daraniyagala, né en 1903, et Pieris, né en 1904, ont étudié en Europe. En contraste direct, certains peintres sont attirés par la peinture abstraite (il est douteux que les formes abstraites seront d'une importance permanente en Asie), et d'autres, parmi lesquels Gabriel, basent leur art sur des thèmes ruraux. Tous ont un sens de la couleur original et puissant.
Ce qui caractérise cette école, ce qui la rend vivante, c'est l'effort accompli vers une synthèse entre une tradition millénaire et le XXe siècle. Face à face avec la nécessité de créer un art contemporain et en même temps de sauvegarder l'héritage national, il est extrêmement facile de tomber soit dans un folklore artificiel, soit dans une imitation périmée de l'école de Paris. La peinture occidentale étant mal représentée au Ceylan, les influences étrangères sont indirectes. Mais si dans certains stages de l'œuvre de Keyt nous pouvons trouver des traces d'influence européenne, si un certain expressionnisme se manifeste dans la peinture de Daraniyagala, ces influences sont très vite assimilées et dépassées : l'essence même d'une expression spécifiquement cinghalaise, un méridionalisme de l'Asie, est toujours présent.
Malgré une inégalité artistique et des tendances aussi diverses et aujourd'hui nécessaires, l'unité du sentiment et la qualité essentiellement lyrique de ces toiles sont les témoins d'une vitalité remarquable. Elles forment, très certainement, les bases d'un grand art ; elles ne marquent qu'un début, mais un début de plénitude et d'espoir.