Jean-Michel Delage
Photographe indépendant depuis vingt ans, Jean-Michel Delage se définit comme photojournaliste. Il est particulièrement intéressé par les sujets de société. Ceux-ci l'ont emmené en Asie, en Europe, en Palestine, … mais également sur les routes de France. Il collabore avec la presse française et internationale. Il a travaillé pour des associations humanitaires : Handicap international, Action contre la faim. Il réalise aussi des projets personnels tels que celui sur les Tamouls sri-lankais réfugiés en France ou une série de portraits des résidents de Saint-Denis. Son dernier livre Kesaj Tchavé (2013) est une exploration des jeunes issus des bidonvilles tziganes de Slovaquie.
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Jean-Michel Delage anime également des ateliers photographiques et des projets autour de la photographie. Il a vécu treize ans à Saint-Denis et bien qu'installé maintenant à Angers, il est toujours très proche de De Visu, un groupe de photographes dionysiens.
Retrouvez Jean-Michel Delage sur son site web jeanmicheldelage.com.
Propos recueillis par Suravi
Pourquoi avoir choisi Sri Lanka
Je n'ai pas choisi par hasard. J'avais une double histoire avec Sri Lanka. Je connaissais déjà le pays, les noms des villes et villages touchés par la catastrophe m'étaient familiers. Et puis, j'avais fait un travail pendant plusieurs années sur la communauté tamoule sri-lankaise vivant en France, lequel a abouti à la publication d'un livre, Vanakam (2000).
Je me suis donc senti très touché par ce qui venait de se passer en ce lendemain de Noël 2004.
Vous êtes retourné sept fois à Sri Lanka durant les trois années qui ont suivi le tsunami. Avec quels objectifs ? Chaque séjour était-il l'occasion de visiter une région différente ?
Lors de mon arrivée à Sri Lanka deux jours après le tsunami, j'ignorais ce que j'allais y trouver. Je suis parti du jour au lendemain, sans commande, sans moyens. J'ai loué une voiture à Colombo et j'ai parcouru la côte ouest, en direction du sud. Dès la sortie de la ville, le long de la côte et de la voie ferrée, tout était détruit.
Plus tard, un magazine français m'a proposé de travailler pour lui. Je suis remonté à Colombo, un journaliste m'y a rejoint et nous avons fait le même parcours, sur la côte ouest, avant de prendre un avion vers Jaffna, dans le nord. Puis nous nous sommes rendus à Mullaitivu, une petite ville entièrement détruite, désertique.
De larges zones du nord et de l'est de Sri Lanka étaient alors sous contrôle des rebelles du LTTE, les Tigres tamouls. C'était vraiment une opportunité de pouvoir parcourir ces régions.
J'ai souhaité retourner fréquemment à Sri Lanka afin d'y suivre la lente reconstruction. Lors des séjours suivants, je prenais une moto et me rendais un peu partout le long de la côte affectée par le tsunami. J'ai pu voir l'évolution de cette reconstruction. Malheureusement je n'ai pas pu y retourner après 2007.
Pourquoi ce choix de l'argentique noir et blanc pour couvrir le tsunami ?
J'étais parti à Sri Lanka avec un appareil numérique… que j'ai cassé le lendemain de mon arrivée. Après un moment de désespoir, j'ai réalisé que n'ayant pas de commande, il fallait que je me sente libre. J'ai donc démarré avec mon appareil argentique, en noir et blanc. Quant au boîtier cassé, j'ai pu le faire réparer sur place. La semaine suivante, un magazine m'appelait pour une commande… en couleur, numérique !
Avec votre appareil photo, comment étiez-vous accueilli par la population locale, les autorités gouvernementales et rebelles, les organisations non gouvernementales (ONG) ?
Je n'ai rencontré aucune difficulté. La population avait d'autres soucis. Les autorités gouvernementales et les rebelles ne m'ont pas posé de problèmes particuliers bien que les Tigres tamouls étaient plus tatillons quand j'entrais dans les territoires sous leur contrôle. Quant aux ONG, certaines m'ont hébergé (Handicap international, Action contre la faim) ; elles m'ont aussi aidé à circuler et j'ai pu les suivre dans leur travail. Je leur ai donné des images.
C'était votre premier photoreportage sur une catastrophe naturelle. Plus tard vous avez aussi couvert le séisme d'Haïti du 20 janvier 2010. Quelles sont les différences entre ces deux catastrophes ?
Il n'est pas possible de comparer ce tsunami avec le séisme en Haïti. Le tsunami a détruit de vastes zones côtières ; les champs de ruines étaient impressionnants. Le tsunami a laissé de nombreux survivants avec leurs souvenirs et leur détresse. Mais beaucoup de morts avaient été emportés par la mer. J'ai vu peu de cadavres.
En Haïti, Port-au-Prince était devenu l'enfer sur terre. Les morts étaient encore bien là et les blessés, par milliers. C'était le chaos… Ce fut sans doute, pour moi qui ne travaille pas en zone de conflit, le plus dur de mes reportages.
[Note : le bilan du séisme d'Haïti est de 100 000 à 160 000 morts.]
Avec dix ans de recul, quel bilan tirez-vous de l'action humanitaire et de la couverture médiatique de cette catastrophe ?
Sur l'action humanitaire, il y a beaucoup à dire. D'abord le débarquement de tous ces gens, les organisations, etc. Un vaste travail a été accompli, il faut le dire, la tâche était immense. Mais il y avait un côté déplaisant : chacun voulait planter son drapeau ou coller son logo. Les fonds récoltés à travers le monde furent hallucinants mais je n'ai pas suivi les retombées de toutes ces sommes sur place.
En tant que photojournaliste, je connais le fonctionnement de la presse. Il y eu d'abord l'évènement. Ce n'était pas une petite affaire, il faut le reconnaître ! Puis on en a moins parlé : «Le tsunami, 1 mois après… 6 mois après... 1 an après » Le monde est alors passé à autre chose : d'autres évènements, d'autres guerres et d'autres catastrophes. La reconstruction, ce n'est pas (hélas !) quelque chose de « photogénique »… C'en fut alors fini du tsunami dans la presse ; je n'ai plus eu de commande.
Pour ce qui est de Sri Lanka en particulier, l'actualité est passée du tsunami à la guerre. Après un cessez-le-feu de quelques années, les hostilités ont repris en 2005 entre les rebelles tamouls et l'armée gouvernementale.
pour couvrir l'après-tsunami ?
Ce tsunami a marqué le monde. Les dix ans seront peut-être traités dans la presse, mais je ne doute pas qu'on en parlera beaucoup moins que des dix ans du 11-Septembre… C'est ainsi.
Ayant vécu cet évènement d'un peu plus près, évidemment je me souviens de beaucoup de choses. Mais là, ça devient une histoire personnelle. Pour l'anecdote, c'est pendant un reportage sur le tsunami – en Inde –, que j'ai rencontré la femme qui est devenue la mère de mon enfant !
Je n'ai pas choisi par hasard. J'avais une double histoire avec Sri Lanka. Je connaissais déjà le pays, les noms des villes et villages touchés par la catastrophe m'étaient familiers. Et puis, j'avais fait un travail pendant plusieurs années sur la communauté tamoule sri-lankaise vivant en France, lequel a abouti à la publication d'un livre, Vanakam (2000).
Je me suis donc senti très touché par ce qui venait de se passer en ce lendemain de Noël 2004.
Vous êtes retourné sept fois à Sri Lanka durant les trois années qui ont suivi le tsunami. Avec quels objectifs ? Chaque séjour était-il l'occasion de visiter une région différente ?
Lors de mon arrivée à Sri Lanka deux jours après le tsunami, j'ignorais ce que j'allais y trouver. Je suis parti du jour au lendemain, sans commande, sans moyens. J'ai loué une voiture à Colombo et j'ai parcouru la côte ouest, en direction du sud. Dès la sortie de la ville, le long de la côte et de la voie ferrée, tout était détruit.
Plus tard, un magazine français m'a proposé de travailler pour lui. Je suis remonté à Colombo, un journaliste m'y a rejoint et nous avons fait le même parcours, sur la côte ouest, avant de prendre un avion vers Jaffna, dans le nord. Puis nous nous sommes rendus à Mullaitivu, une petite ville entièrement détruite, désertique.
De larges zones du nord et de l'est de Sri Lanka étaient alors sous contrôle des rebelles du LTTE, les Tigres tamouls. C'était vraiment une opportunité de pouvoir parcourir ces régions.
J'ai souhaité retourner fréquemment à Sri Lanka afin d'y suivre la lente reconstruction. Lors des séjours suivants, je prenais une moto et me rendais un peu partout le long de la côte affectée par le tsunami. J'ai pu voir l'évolution de cette reconstruction. Malheureusement je n'ai pas pu y retourner après 2007.
Pourquoi ce choix de l'argentique noir et blanc pour couvrir le tsunami ?
J'étais parti à Sri Lanka avec un appareil numérique… que j'ai cassé le lendemain de mon arrivée. Après un moment de désespoir, j'ai réalisé que n'ayant pas de commande, il fallait que je me sente libre. J'ai donc démarré avec mon appareil argentique, en noir et blanc. Quant au boîtier cassé, j'ai pu le faire réparer sur place. La semaine suivante, un magazine m'appelait pour une commande… en couleur, numérique !
Avec votre appareil photo, comment étiez-vous accueilli par la population locale, les autorités gouvernementales et rebelles, les organisations non gouvernementales (ONG) ?
Je n'ai rencontré aucune difficulté. La population avait d'autres soucis. Les autorités gouvernementales et les rebelles ne m'ont pas posé de problèmes particuliers bien que les Tigres tamouls étaient plus tatillons quand j'entrais dans les territoires sous leur contrôle. Quant aux ONG, certaines m'ont hébergé (Handicap international, Action contre la faim) ; elles m'ont aussi aidé à circuler et j'ai pu les suivre dans leur travail. Je leur ai donné des images.
C'était votre premier photoreportage sur une catastrophe naturelle. Plus tard vous avez aussi couvert le séisme d'Haïti du 20 janvier 2010. Quelles sont les différences entre ces deux catastrophes ?
Il n'est pas possible de comparer ce tsunami avec le séisme en Haïti. Le tsunami a détruit de vastes zones côtières ; les champs de ruines étaient impressionnants. Le tsunami a laissé de nombreux survivants avec leurs souvenirs et leur détresse. Mais beaucoup de morts avaient été emportés par la mer. J'ai vu peu de cadavres.
En Haïti, Port-au-Prince était devenu l'enfer sur terre. Les morts étaient encore bien là et les blessés, par milliers. C'était le chaos… Ce fut sans doute, pour moi qui ne travaille pas en zone de conflit, le plus dur de mes reportages.
[Note : le bilan du séisme d'Haïti est de 100 000 à 160 000 morts.]
Avec dix ans de recul, quel bilan tirez-vous de l'action humanitaire et de la couverture médiatique de cette catastrophe ?
Sur l'action humanitaire, il y a beaucoup à dire. D'abord le débarquement de tous ces gens, les organisations, etc. Un vaste travail a été accompli, il faut le dire, la tâche était immense. Mais il y avait un côté déplaisant : chacun voulait planter son drapeau ou coller son logo. Les fonds récoltés à travers le monde furent hallucinants mais je n'ai pas suivi les retombées de toutes ces sommes sur place.
En tant que photojournaliste, je connais le fonctionnement de la presse. Il y eu d'abord l'évènement. Ce n'était pas une petite affaire, il faut le reconnaître ! Puis on en a moins parlé : «Le tsunami, 1 mois après… 6 mois après... 1 an après » Le monde est alors passé à autre chose : d'autres évènements, d'autres guerres et d'autres catastrophes. La reconstruction, ce n'est pas (hélas !) quelque chose de « photogénique »… C'en fut alors fini du tsunami dans la presse ; je n'ai plus eu de commande.
Pour ce qui est de Sri Lanka en particulier, l'actualité est passée du tsunami à la guerre. Après un cessez-le-feu de quelques années, les hostilités ont repris en 2005 entre les rebelles tamouls et l'armée gouvernementale.
pour couvrir l'après-tsunami ?
Ce tsunami a marqué le monde. Les dix ans seront peut-être traités dans la presse, mais je ne doute pas qu'on en parlera beaucoup moins que des dix ans du 11-Septembre… C'est ainsi.
Ayant vécu cet évènement d'un peu plus près, évidemment je me souviens de beaucoup de choses. Mais là, ça devient une histoire personnelle. Pour l'anecdote, c'est pendant un reportage sur le tsunami – en Inde –, que j'ai rencontré la femme qui est devenue la mère de mon enfant !