Huit peintres de Ceylan
Par George Besson
Les Lettres françaises, n°491, 19 novembre 1953
Les peintres étrangers ont souvent déçu les visiteurs de leurs expositions parisiennes. N'est-ce pas dans les salons de l'Unesco que l'on vit, il y a quelques années, un vaste panorama de la peinture internationale ? La pucelle d'Ottawa et le douanier de Shanghai rendaient le même hommage à Mondrian. Et le Lapon comme le Papou s'étaient appliqués à fabriquer en échafaudages et spirales dans la manière de MM. Manessier, Piaubert et Tout-le-Monde des Angélus du soir et des Hommages à Jeanne d'Arc qui auraient aussi bien pu avoir pour titre Plaisir d'amour ou Quand de Gaulle sourit. De quoi réhabiliter un Salon des Artistes français, « morne plaine ». De quoi laisser croire que sur toute la surface du globe des mâles, des femelles, des eunuques trop flemmards pour aller au-delà des rudiments du métier de peintre s'étaient tirés d'affaires en s'adonnant à ces travaux d'agrément que sont, neuf fois sur dix, les peintures dites abstraites.
Rien de semblable avec le Groupe 43 des peintres contemporains de Ceylan. Ils sont huit et l'on ne peut que louer André Chamson et Mme Kahn de révéler aux Parisiens des artistes qui nous apportent une vision neuve des êtres et des choses de chez eux.
Même si un Pieris et un Daraniyagala, qui firent de brefs séjours en France, avaient moins parfaitement digéré certaines influences parisiennes, il leur serait beaucoup pardonné. Il suffit de penser aux innombrables Français qui cherchèrent un renouvellement plus ou moins superficiel de leur art en se contentant de démarquer les formes d'art des civilisations exotiques ou prétendirent trouver un rajeunissement en prenant contact avec les peuples dit primitifs.
Dans sa belle préface au catalogue de l'exposition cinghalaise, M. Pierre de Francia rappelle – qui pourrait en douter ? – que la Chine, les Indes, les pays asiatiques en général sont au début d'une phase nouvelle de leur histoire : « Notre époque, écrit-il, verra le commencement d'un essor immense en Asie. Cette exposition marque les premiers pas de jeunes artistes d'un pays qui apportera, sans aucun doute, une grande contribution à l'art de l'Extrême-Orient […]. Trois conquêtes et trois périodes de domination européenne – portugaise, hollandaise et anglaise – n'ont pas réussi à étouffer l'expression nationale. La campagne, la vie des villages, l'architecture rurale, la danse et les coutumes sont restées en dehors des influences étrangères et, surtout en Kandy, ces éléments forment une source inépuisable pour les artistes contemporains. »
Rappelons que le Groupe 43 du Petit-Palais (fondé en 1943) est la conséquence des mouvements nationalistes cinghalais. Aussi, à l'art académique importé d'Angleterre à partir de 1850, s'est substituée une synthèse de la tradition millénaire de la sculpture, de la fresque et de l'apport pictural et plastique du XXe siècle. Auprès du plus âgé des exposants George Keyt qui ignora les révolutions picturales européennes et fut un des premiers à retrouver la tradition cinghalaise, auprès du plus jeune peintre du Groupe 43 : Ranjit Fernando dont le talent se développe sans concession à l'art de l'Occident, voici les œuvres de Richard Gabriel, interprète de la vie rurale, les portraits de Harry Pieris, des compositions de George Claesssen, d'Aubrey Colette (Travailleurs Tamils), d'Yvan Pieris (La Plage), œuvres variées, subtiles, austères et puissantes qui témoignent d'un beau métier.
Mais il probable que le public français accordera une attention particulière à la vingtaine de tableaux de Justin Daraniyagala qui sont comme les morceaux choisis d'une vaste, grouillante et monumentale composition pleine à craquer et d'un lyrisme formel très singulier. Pour définir le style de ce maitre et le rattacher aux écoles européennes, on dira qu'il est « expressionniste » mais, chez lui, un souci constant de construction supplée le débraillé fréquent chez les Allemands et les Belges qui furent à l'origine de ces déformations à la limite de la caricature et que l'on désigna sous le nom d'expressionnisme. Les toiles qui ont pour titre La Baigneuse surprise, La Mariée, La Mère soigneuse, Maternité, etc. ne peuvent que retenir le public des profanes aussi bien que les artistes et les initiées. Ce peintre réaliste, ce visionnaire de Ceylan au chromatisme savoureux, ce Daraniyagala dont il faut retenir le nom, s'inscrit désormais comme une des révélations importantes de ce temps.