Les balbutiements (avant 1947)
Le cinéma srilankais naît en 1925 avec Rājakīya vikramaya (Aventure royale), réalisé à Sri Lanka par T.A.J. Noorbai. Cependant, le film n’a jamais pu être projeté à Sri Lanka, les bobines de films ayant été détruites dans un incendie après une projection à Singapour.
Kaḍavuṇu poronduva (La Promesse non tenue) est le premier film en langue singhalaise, réalisé en 1947 par Jyothish Singh et basé sur une pièce populaire de B.A.W. Jayamanne. Tourné en Inde, ce film est fortement influencé par les mélodrames du sud de l’Inde. Il met en vedette la chanteuse Rukmani Devi qui y débute sa carrière cinématographique. Surnommée le Rossignol de Sri Lanka, elle dominera la vie artistique de son pays jusqu’à sa mort accidentelle en 1978.
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Plusieurs autres films srilankais suivent, sans trop d’originalité et collant peu à la réalité du pays. Ces films sont tournés dans les studios de l’Inde du Sud et les techniciens et le réalisateur sont souvent indiens.
L’émergence (1947 – 1963)
L’émergence d’un véritable cinéma srilankais coïncide avec l’indépendance obtenue du Royaume-Uni en 1948. Jusqu’alors, le cinéma à Sri Lanka était entièrement dominé par des films produits à l’étranger (Inde du sud, États-Unis, Europe).
En 1949, le cinéaste singhalais Sirisena Wimalaweera (1900-1963) réalise son premier film, Amma (Mère). Wimalaweera croit en un cinéma national, avec des équipes techniques et des acteurs srilankais. Il crée son propre studio en 1951 et produit Poḍi putā (le fils cadet) en 1955.
Dans la foulée de l’indépendance, le service cinématographique de l’État, The Government Film Unit, est créé en 1948 pour la production de documentaires. Lauréat de nombreux prix internationaux pour ses productions de qualité, l’organisme perdra ensuite sa notoriété artistique en raison de ses engagements politiques partisans.
En 1956, Lester James Peries donne une nouvelle dimension au cinéma singhalais avec son premier long-métrage, Rēkhāva (La Ligne du destin). Entièrement tourné en extérieur, à la manière des néoréalistes italiens, Rēkhāva dépeint la vie et les drames d’un village. Cet ancrage dans les réalités de son pays va marquer toute l’œuvre de Peries, qui adaptera à l’écran plusieurs romans singhalais qui traitent de la société srilankaise en nuance et en profondeur. Présenté en compétition officielle au festival de Cannes en 1957, acclamé par la critique, Rēkhāva fut néanmoins un échec commercial.
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Lester James Peries tourne un second long-métrage, Gamperaḷiya (Le Changement au village), en 1963. Tiré du roman éponyme de Martin Wikremasinghe, le film rencontre cette fois-ci un succès commercial et critique.
L’essor artistique (1964 – 1979)
En 1966, Sat samudura (Les Sept océans) réalisé par Siri Gunasinghe est le plus grand succès critique depuis Gamperaḷiya. Le film est loué pour sa représentation réaliste d’une communauté de pêcheurs ainsi que pour le jeu des acteurs. Les nouvelles techniques cinématographiques de Gunasinghe, notamment son recours fréquent aux gros plans, suscitent l’admiration de la critique. Vasantha Obeysekera collabore étroitement avec Gunasinghe sur le scénario et la réalisation. La direction de la photographie et le montage sont confiés à D.B. Nihalsinghe. Obeysekera et Nihalsinghe deviendront eux-mêmes des réalisateurs de talent.
Ainsi, deux autres films marquent cette période : Le premier long-métrage de Vasantha Obeysekera, Ves gattō (Les Masqués, 1970) et Vælikatara (Terres arides, 1972) de D.B. Nihalsinghe (1939 –2016).
Avec Vælikatara, Nihalsinghe crée la première fresque épique en Cinémascope de Sri Lanka. Ce film lance également la carrière de Tissa Abeysekara (1939-2009) comme un scénariste incontournable qui réalisera des longs-métrages par la suite.
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« Enfant terrible » des années 1970, le cinéaste Dharmasena Pathiraja expérimente de nouvelles techniques cinématographiques. Il adopte un style réaliste et rompt avec un cinéma traditionnel : Ahas gavva (L’Espace aérien) en 1974 et Bam̆baru ævit (L’Arrivée des guêpes) en 1978.
Le déclin (1979 – 1990)
Cette période de dynamisme et de créativité continue jusqu’à la fin des années 1970, lorsque l’essor de la télévision et la fermeture de salles de cinéma en raison de la guerre civile provoquent une désaffectation des spectateurs.
Sumitra Peries, épouse de Lester James Peries, réalise Gæhænu ḷamayi (Les Filles) en 1978, Gan̆ga addara (Au bord de la rivière) en 1980 et Sāgara jalaya (Une lettre écrite sur le sable) en 1988. Ses films abordent la question de la condition féminine et donnent une autre vision de la société srilankaise.
En 1983, Lester James Peries adapte au cinéma deux autres romans de Martin Wikremasinghe, Kaliyugaya (L'âge des ténèbres) et, en 1985, Yugāntaya (La Fin d’une ère) qui, avec Gamperaḷiya, constituent une trilogie consacrée à la transformation de la société srilankaise au début du 20e siècle.
Le roman Virāgaya (Le Non attachement), autre œuvre de Martin Wikremasinghe, est remarquablement adapté à l’écran en 1987 par Tissa Abeysekara qui deviendra plus tard président de la National Film Corporation (NFC).
Le cinéma srilankais contemporain
Les réalisateurs contemporains abordent souvent des thèmes liés au conflit ethnique qui a déchiré le pays pendant plus de 25 ans. Trois réalisateurs engagés se distinguent alors, Prasanna Vithanage, Ashoka Handagama et Vimukthi Jayansundara, tous trois primés dans les festivals internationaux.
Prasanna Vithanage est un metteur en scène audacieux qui a fait l’objet d’une vive polémique dans son pays en 2000, lors de la sortie de son film Pura han̆da kaḷuvara (Mort un jour de pleine lune). Ce film relate l’histoire d’un vieil homme qui refuse d’accepter la mort d’un fils après son engagement dans l’armée. Le gouvernement fait retirer le film des salles, mais après la levée de son interdiction, Mort un jour de pleine lune connait un des plus grand succès de l’histoire du cinéma srilankais. Ira mædiyama (Soleil d’aout, 2003) fait quant à lui le récit parallèle de trois histoires de gens ordinaires pris dans l’horreur d’une guerre civile entre communautés singhalaise, tamoule et maure. Oba nætuva oba ekka (With You, Without You), son dernier film, a été récompensé du Cyclo d’or du Festival international des cinémas d’Asie (Fica) de Vesoul de 2012.
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Asoka Handagama s’est frotté tout au long de sa carrière à des sujets difficiles. Trois de ses œuvres, jugées novatrices et originales ont été distribuées en salles en France. Mē magē san̆dayi (This is my Moon, 2001) se situe pendant la guerre civile et raconte l’histoire d’amour entre un soldat singhalais déserteur et une jeune tamoule ; Tani taṭuven piyām̆banna (Voler d’une seule aile, 2002) fait le récit d’une femme vivant et travaillant sous l’apparence d’un homme ; Enfin, Ini Avan, celui qui revient (2012) est l’histoire d’un ancien combattant des Tigres tamouls qui revient dans son village deux ans après la fin des combats. Akṣaraya (Goodbye Mum, 2005), un drame familial coproduit par la France, est toujours censuré à Sri Lanka pour des scènes de nudité et les thèmes qu’il aborde : inceste, meurtre et viol.
Suḷan̆ga enu piṇisa (La Terre abandonnée), film franco-srilankais réalisé par Vimukthi Jayasundara a reçu la Caméra d’or du meilleur premier film, lors du festival de Cannes 2005. Après un accord de cessez-le-feu, les habitants d’une bourgade vivent dans une atmosphère étrange, hésitant entre remord et espoir.
Parmi tous les cinéastes cités dans cette brève histoire du cinéma srilankais, aucun nom de cinéaste tamoul n’apparait. La production cinématographique tamoule srilankaise reste modeste avec moins de 100 films. La raison principale est l’absence de conditions favorables pour que des cinéastes tamouls de talent puissent exercer leur art : à la rude concurrence de Kollywood (le Bollywood du Tamil Nadu) s’ajoutent les obstacles de la longue guerre civile. ※
Un comité gouvernemental srilankais de 1997 a identifié les dix films suivants comme les meilleurs des cinq premières décennies du cinéma srilankais :
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